
Le témoignage du père Nicolas Buttet, fondateur depuis 1996 et le modérateur de la FraternitéEucharistein, qui partage sa vie entre vie de prière et de service auprès de personnes en grandes difficultés matérielles et psychologiques a été un des temps forts du premier dimanche de l'Octave.
Un parcours « hors norme »
Avec beaucoup de conviction et d'humour, le Père Nicolas Buttet, né en 1961, a retracé son parcours, depuis son enfance et son éducation dans une famille catholique pratiquante jusqu'à ses études de droit, pendant lesquelles il a fait surtout la fête, et entre dans la vie politique, devenant parlementaire à seulement 23 ans.
Tout allait donc pour le mieux, s'il n'y avait pas eu en lui une « petite voix » qui se faisait parfois entendre. Un jour, une prise de conscience soudaine lui fit comprendre qu'il jouait avec sa vie et avec la vie d'autres personnes. Il retourne alors à la messe puis se décide avec difficultéà se confesser : Dieu l'attendait où il était, venait à lui dans la misère intérieure où il se trouvait ! Une expérience bouleversante d'amour et de libération…
En 1985, malgré une vie très remplie par son stage d'avocat et son engagement politique, il décide de passer ses congés dans un centre pour personnes ayant un handicap mental (institut Cottolengo). Alors qu'il venait d'arriver fatigué du voyage, il y fait l'expérience d'avoir à nettoyer 18 des 20 pensionnaires. « Ce que tu fais aux plus petits, c'est à moi que tu le fais »... Plus fatigué du tout, il passe la nuit à la chapelle et reçoit alors la grâce, la certitude que Jésus est présent dans le Saint Sacrement, une certitude qui ne l'a jamais plus quitté depuis.
Le Cardinal Etchegaray le contacte à sa grande surprise et lui propose d'organiser une conférence œcuménique pour le Conseil Pontifical Justice et Paix, un changement professionnel important car il était sur le point d'ouvrir une étude d'avocats mais il accepte et voyage beaucoup pendant deux ans et demie, visitant e.a. Mère Teresa et les pauvres qu'elle accompagne au mouroir.
Pourtant il a besoin d'aller encore plus loin dans sa foi et passe cinq ans dans un petit ermitage à adorer le Saint Sacrement, prier et travailler de ses mains. Des jeunes et moins jeunes à multiples problèmes viennent le rejoindre.
La FraternitéEucharistein
C'est le moment de fonder en 1996 la première FraternitéEucharistein (rendre grâce, en grec) à Epinassey (CH), suivie par les maisons de Bourguillon (CH), Saint-Jeoire (F) et Château Rima (F). La Fraternité a été reconnue en 2008 comme Famille ecclésiale diocésaine de Vie consacrée.
Des frères et des sœurs consacrés, oblats et membres associés dans le Tiers-Ordre « Communion Bethanie » y vivent une vie de prière et de travail (agriculture, intendance, construction…) pour subvenir à leurs besoins, une vie partagée avec les personnes en séjour prolongé de reconstruction personnelle qu'ils accompagnent et accueillent gratuitement.
Ces personnes suicidaires, sous l'emprise de la drogue ou l'alcool… (re)trouvent un cadre bienveillant et des relations authentiques, travaillent avec leurs mains pour renouer avec la réalité, avec la terre et peuvent, par l'Adoration, aussi faire l'expérience de la grâce qui agit au plus profond pour ce que Dieu veut opérer en nous. Mais des chefs d'entreprise, des « riches », parfois sous l'emprise d'une autre pauvreté, sont aussi attirés par la FraternitéEucharistein.
L'espérance est confrontée à deux tentations, le désespoir et l'orgueil
Depuis le 19e siècle, l'idéologie du progrès est l'idéologie dominante, une forme de sécularisation de l'eschatologie et de l'espérance chrétienne. Mais le 20e siècle, avec 321 millions de personnes assassinées, a détruit cette illusion.
Par orgueil, le monde ne sait plus où se tourner et fonctionne selon de fausses valeurs et des drogues de toutes sortes, menant au désespoir.
L'Espérance, la petite soeur de la Foi et de la Charité selon Paul Claudel, et la joie sont de puissants antidotes à ces tentations. Et le vrai progrès vers lequel tendre est l'humanisation du cœur de l'homme.
Car notre époque se caractérise par un grand manque de relations authentiques, un besoin apparemment contradictoire de se protéger mais aussi une soif de relations. Au lieu de posséder à tout va, d'accumuler sans cesse, il nous faut parvenir à la maturité intérieure pour ne pas être « pris » par l'autre dans une relation de mimétisme, ou de crainte, ou de singularitéà tout prix.
L'Adoration permet de sortir de soi - car trop rester sur soi n'est pas bon pour le psychisme - pour se trouver en face à face avec le Père pour s'ouvrir à Lui et aux autres.
C'est pourquoi l'adoration du Saint Sacrement (« Le soleil de justice porteur de guérison », selon le prophète Malachie) est quotidienne à la FraternitéEucharistein.
La présence du Père est en effet primordiale : nés du même Père, c'est grâce au Père que nous sommes tous frères et sœurs, dans un mode de relation unique (adelphotes– fraternité en grec -). Cette fraternité peut être cultivée dans de petites communautés, noyaux de vie attirant grâce à la joie et les relations fraternelles qui s'y vivent. D'autres communautés naîtront d'elles, naturellement.
Créer ou revivifier ces communautés est une entreprise qui prend du temps mais il faut bien du temps pour bâtir correctement. Dans l'histoire, ce fut dans les moments de crise que l'Évangile a donné une réponse providentielle pour renouveler l'Église.
Sans oublier l'œuvre de Marie qui nous remet en mémoire notre engagement et nous soutient à chaque instant…
La Vierge à midi, de Paul Claudel
Il est midi. Je vois l'église ouverte.Il faut entrer.
Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.
Je n'ai rien à offrir et rien à demander.
Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela
Que je suis votre fils et que vous êtes là.
Rien que pour un moment pendant que tout s'arrête.
Midi !
Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.
(...)
Extrait de Paul Claudel, Œuvre poétique, Poèmes de guerre, La Pléiade, Gallimard, 1957, p. 531